Points de vue

Pietro Bernadara

Directeur du Laboratoire CEREA, Centre d’Enseignement et de Recherche en Environnement Atmosphérique
Ecole des Ponts ParisTech

Bien-être en ville, qualité de l’air et innovation urbaine

La qualité de l’air est désormais un enjeu social majeur de santé : enjeu de résilience pour la ville de Paris et toutes les métropoles du monde, dégradation de l’environnement, cause du plus grand nombre de décès dans le monde (6,5 millions de personnes chaque année), selon l’OMS.

Il est alors légitime que les acteurs socio-économiques mettent cette thématique au cœur de leurs projets et leurs ambitions. On observe une demande accrue des villes et des territoires pour que la qualité de l’air devienne un critère d’appréciation du développement urbain et des choix d’urbanisme. Les industriels doivent respecter une réglementation, en évolution continue vers de plus grandes contraintes, sur la qualité de leurs émissions. De nombreuses entreprises se positionnent en porteurs d’offres commerciales pour l’urbain et le bâtiment autour de la qualité de l’air. Le monde académique est bien conscient des verrous scientifiques à faire sauter pour développer le savoir-faire nécessaire pour répondre aux défis posés : incertitude de mesures, compréhension des phénomènes de chimie atmosphérique complexes, modélisation aux échelles les plus fines, de la rue jusque dans la pièce.

Le CEREA (Centre d’Enseignement et de Recherche en Environnement Atmosphérique) développe ces compétences en physique et chimie de l’atmosphère pour répondre aux besoins des entreprises, des acteurs territoriaux ou académiques.

En prenant en compte la qualité de l’air dès la conception des nouveaux quartiers (comme dans les projets Balcon sur Paris à Villiers sur Marne, Village Olympique de Saint Ouen en collaboration avec AirParif), le CEREA promeut une nouvelle démarche d’innovation urbaine dans laquelle la santé et le confort sont au premier plan (wise city). L’innovation urbaine intégrant la qualité de l’air se traduit sur le terrain rapidement vers des enjeux socio-économiques comme l’électrification des transports ou la transition énergétique.

L’enjeu de la fabrique urbaine est alors de fédérer industriels, entreprises, monde académique et acteurs territoriaux dans cette démarche afin que ces innovations s’inscrivent dans les pratiques de la ville de demain.

Pietro Bernardara, Septembre 2020

Le CEREA : https://www.cerea-lab.fr/ – LinkedIn : Cerea Lab


Françoise Prêteux

Directrice de la recherche
Ecole des Ponts ParisTech

Innovation urbaine : de la résilience à la valeur partagée

L’innovation est le processus qui transforme des opportunités en idées nouvelles, puis en réalités nouvelles. Et comme le disait Victor Hugo, « rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu ». Je pense que c’est présentement le cas pour la « valeur partagée ».

L’innovation naît de l’insatisfaction et l’imperfection de l’existant et de la recherche stimulante de faire toujours mieux.  Sous des formes diverses, elle incite à continuer d’imaginer et de développer, en dépit des chocs et des stress chroniques. Le moteur de cette dynamique se nomme résilience. Innovation et résilience sont donc étroitement liées, en particulier dans le contexte urbain. L’École des Ponts, dès sa création en 1747, a de facto su promouvoir leur synergie : réseau d’assainissement de Paris créé par Eugène Belgrand, premier système d’alimentation en eau de la ville de Dijon que l’on doit à l’hydraulicien Henry Darcy, développement du transport public avec Fulgence Bienvenüe, le père du métro parisien, ou encore aménagement des boulevards et espaces verts avec Adolphe Alphand.1

Aujourd’hui, l’École des Ponts est au cœur du Campus Descartes, lieu d’exception concentrant savoir, recherche, expertise, plateformes et démonstrateurs pour construire les villes de demain. Ainsi, le nouveau bâtiment Bienvenue avec sa « Vague Verte » offre-t-il une toiture végétalisée d’un hectare. Ce projet architectural, initialement conçu à des fins esthétiques avec cette ondulation harmonieuse, a été converti en un site de recherche2 dans le cadre du projet Climate-KIC Blue Green Dream sur l’urbanisme et la gestion multifonctionnelle de la ville, projet récompensé par le Green Technology Innovation Award 2015.

Avec le temps, la Vague Verte est devenue un démonstrateur à taille réelle des solutions fondées sur la nature pour la ville résiliente. Elle est une composante de la plateforme Fresnel du Co-Innovation Lab sur l’observation multi-échelle des champs géophysiques en Ile-de-France pour des villes résilientes. Avec ses deux autres plateformes d’innovation, qui contribuent à l’industrie du futur, à la ville durable et sa mobilité intelligente, le Co-Innovation Lab de l’École des Ponts constitue un bon exemple de dynamique multidisciplinaire nécessaire au soutien à l’innovation par la recherche. Le Co-Innovation Lab offre un espace ouvert où tous les acteurs, entreprises, collectivités, académiques peuvent expérimenter et évaluation à l’échelle un des solutions innovantes en favorisant le transfert et la compétitivité des entreprises.3

Cette motivation nous a incités à répondre à plusieurs thèmes de l’appel à projets « Territoires d’innovation ». Par exemple, avec le projet « Construire au futur, habiter le futur », porté par le Conseil régional d’Île-de-France, mettant en synergie plus de 120 partenaires, nous contribuons à hybrider thématiques techniques et sociétales au service du développement des territoires. Dans le contexte actuel, la durabilité s’impose comme un facteur clé d’innovation.4

La  » valeur partagée » est l’idée qu’en répondant aux besoins et aux défis sociaux et environnementaux, les entreprises peuvent créer de la valeur économique d’une manière qui profite également à la société. Le concept est séduisant. Toutefois, concrétiser cette vision reste difficile pour la plupart des entreprises. En effet, devenir durable est un processus complexe. Il nécessite de repenser les activités de manière fondamentale. Il s’agit de déployer une stratégie globale, capable à la fois de répondre aux préoccupations sociales et environnementales et d’intégrer la durabilité dans les modèles commerciaux. Seules les entreprises qui transformeront réellement leurs modèles économiques de manière profonde et significative obtiendront des avantages compétitifs.

Un des enjeux majeurs de l’innovation urbaine pour les acteurs économiques sera donc de repenser la création de la valeur et de progresser vers des modèles économiques visionnaires qui créeront une valeur partagée.

Françoise Prêteux, Septembre 2020

1 Plus d’information : https://www.youtube.com/watch?reload=9&v=OY5oVQv0shE&feature=youtu.be

2 Plus d’information : https://hmco.enpc.fr/portfolio-archive/blue-green-wave/

3 Plus d’information : https://www.ecoledesponts.fr/co-innovation-lab

4 Plus d’information : https://education.newstank.fr  ETA, REC – Paris – mardi 26 mai 2020 – Entretien n° 184097 de Françoise Prêteux


Marie Baduel

Directrice de la stratégie
AVITEM

Un enjeu de l’innovation urbaine est de consolider des réseaux d’échanges et de production internationaux

Un enjeu de l’innovation urbaine est de consolider des réseaux d’échanges et de production internationaux
La fabrique des territoires évolue incontestablement. De nouveaux acteurs apparaissent (Fab Lab, urbanistes de la transition…), de nouveaux thèmes s’imposent dans le cœur du projet comme les systèmes territoriaux alimentaires, la transition énergétique, les ports propres, les mobilités douces …et surtout de nouvelles méthodes émergent remettant en cause la toute-puissance des professionnels de l’aménagement au profit de processus plus participatifs de co-production, les citoyens étant reconnus dans leurs expertises d’usages et de militants. Les maîtres d’ouvrage ont à s’adapter ou plus positivement à accélérer ce mouvement !
Structurellement, il me semble que ce changement radical et rapide se fonde sur deux évolutions théoriques majeures :
− L’économie et les technologies liées ne sont plus pensées comme des processus universels. Le territoire, entendu comme un espace constitué de relations entre hommes et femmes et leur environnement, influe sur les formes structurelles que prend l’économie. A titre d’exemple, l’économie sociale et solidaire est une forme de reterritorialisation de l’économie, basée sur des compétences locales souvent historiques ou sur des particularités géographiques.
− Le sens donné à la transformation territoriale porte d’autres valeurs que celle de la période des trente glorieuses, et notamment une exigence de conciliation entre attractivité internationale, cohésion sociale et territoriale et développement durable et résilient. Sans conteste, les questions environnementales et sociales dominent le débat et la pratique des aménageurs.
Dès lors, en qualité de praticienne, il me semble que l’accélération de l’innovation urbaine passe par un certain nombre d’étapes :
− La poursuite de l’ouverture de la recherche à des expériences pluri-acteurs, intégrant la société civile ;
− La connexion entre les innovateurs et au premier chef les entreprises et universités, les maîtres d’ouvrages souvent publics et les usagers du territoire. Des expérimentations d’innovations ouvertes comme celle de Rêves de Scène Urbaine me semble à ce sujet exemplaire, par la nature de l’écosystème d’acteurs qu’il anime mais également par la méthode adoptée d’un temps relativement long nécessaire à la production d’une culture commune et au développement de solutions contextualisées ;
− Une large diffusion des solutions dans des systèmes ouverts et dans des processus de transfert organisés vers d’autres contextes. Il ne s’agit pas seulement d’assurer l’accès à l’information mais d’accompagner les acteurs pour une adaptation locale de l’innovation.
Si l’innovation se territorialise dans des systèmes complexes multi-acteurs, elle ne doit pas pour autant s’enfermer dans des guerres de territoires. L’enjeu de l’innovation urbaine est de consolider des réseaux d’échanges et de production internationaux, trouver des formes de coopération féconde, assembler plutôt qu’opposer. Certains espaces peuvent avoir plus de sens que d’autres. Vous ne serez pas étonnés que je défende l’espace méditerranéen qui partage une culture urbaine ancestrale de la ville mais également les défis de demain de résilience au changement climatique, de cohésion sociale et de nouvelles formes d’insertion dans l’économie mondiale !

Marie Baduel, Septembre 2020


Catherine Dehaene

Stratégie et Relations Industrielles
Orange

Le « connecté » pour une ville durable, résiliente, agréable à vivre

Les villes et territoires doivent faire face aux enjeux de neutralité climatique et aussi répondre aux attentes des citoyens « Mieux vivre en ville » alors même que la population augmente. Le connecté est une aide précieuse pour mettre en place la transition vers un monde plus agréable, résilient, moins exigeant en consommation d’énergie. Il est ainsi possible de prévoir, d’anticiper par exemple d’organiser le trafic urbain en fonction d’une meil-leure connaissance des périodes de pointe, de partager les informations et les alertes entre les différentes directions métiers, de contacter ou d’alerter la population, de créer des liens entre la population et les services de la ville.
Depuis au moins les années 90, les villes ont compris l’intérêt du mode con-necté pour pouvoir gérer et piloter à distance mais les solutions étaient en-core trop peu fiables et très coûteuses. Petit à petit la disponibilité des fré-quences a permis de répondre à ces premiers besoins en facilitant la con-nexion des équipements. Petit à petit les demandes ont aussi évolué, les ci-toyens souhaitent être impliqués et informés des projets de leur ville et, maintenant les enjeux pour une ville durable, résiliente, agréable à vivre, obligent à trouver des solutions innovantes, à repenser la ville.
Cette transformation n’est possible que par le connecté au service des pro-jets pour pouvoir anticiper, informer, gérer au plus près les consommations d’énergie, mettre en place un plan mobilité efficace etc. La plate-forme de la place de l’innovation urbaine va soutenir la dynamique d’ores-et-déjà en-clenchée en permettant de mieux cerner les besoins des collectivités, de les partager et de permettre aux industriels de concevoir des offres pertinentes pour adresser le marché et ainsi accélérer cette transition vers l’objectif de neutralité climatique alors même que l’offre de connectivité ambiante se ren-force en rendant possible des solutions attendues (disponibilité des données, couverture améliorée et rapidité de transmission).

Catherine Dehaene, Septembre 2020


François Ménard

Chargé de mission
PUCA

Quels critères doivent satisfaire des opérations ou initiatives innovantes dans le domaine de la ville durable ?

Préambule :

Renforcer l’opérationnalisation de l’innovation dans le domaine de la ville durable signifie à la fois accélérer le passage à l’opérationnalisation et rendre plus opérationnelles les innovations introduites.

Les rendre plus opérationnelles veut dire les rendre plus efficaces dans leur mise en œuvre mais aussi en regard de leurs effets attendus.

Dans la perspective d’une transition écologique des villes, ces innovations doivent ainsi être appréciées en considération de leur inscription territoriale, autrement dit sur ce qu’elles font au territoire (quelle qu’en soit l’échelle) et sur leur capacité à le faire évoluer dans le sens de cette transition.

Qu’on se positionne ex ante ou ex post, il est indispensable de disposer de critères généraux et partagés  en ce sens, ce afin de pouvoir évaluer le bénéfice attendu ou réalisé (bénéfice étant entendu un sens non-financier ou non exclusivement économique).

Il existe de nombreux référentiels relatifs à la ville durable mais pas ou peu dédiés à la prise en compte de l’innovation.

A contrario, un référentiel spécifique peut se révéler contraignant, le propre de l’innovation étant précisément de sortir des cadres préétablis de l’action publique comme de l’initiative privée.

C’est la raison pour laquelle il est fait ici la proposition non pas d’un référentiel mais de cinq grands critères, limités en nombre donc, mais présentant l’avantage d’être consistants, ambitieux et hospitaliers à une grande diversité d’approches.

Pour aller à l’essentiel, à la question « quels critères doivent satisfaire des projets innovants au service de la ville durable ? », nous dirons ainsi qu’ils doivent :

  • Réduire l’empreinte métabolique de l’espace traité/concerné
  • Contribuer aux capacités de résilience du territoire
  • Avoir un caractère inclusif et/ou redistributif
  • Faire droit aux autres formes du vivant
  • Etre réversibles, réorientables et réappropriables

Développement :

Afin d’introduire la discussion, voici un petit argumentaire explicitant ce choix.

  • Réduire l’empreinte métabolique de l’espace traité/concerné

Explicitation :

  • Par là on entend élargir l’impact environnemental au-delà de l’empreinte carbone, intégrer l’analyse en cycle de vie mais aussi considérer le métabolisme général du territoire concerné, notamment sa capacité à satisfaire les besoins de ses habitants (se nourrir, se chauffer/se rafraichir, se déplacer, traiter ses déchets, etc.) tout en réduisant les externalités spatiales négatives générées par la satisfaction de ces besoins.
    • Cela peut se traduire par la maximisation du recours aux ressources locales, qu’elles soient naturelles (agriculture urbaine, services écosystémiques…), technologiques (réemploi des matériaux ou infrastructures existantes…), mais aussi par la coopération et la mutualisation avec d’autres territoires disposants de ressources complémentaires, l’essentiel étant de ne pas générer mais au contraire de réduire le recours à des infrastructures dont le coût environnemental à terme n’est pas soutenable.
    • Formulé comme tel, ce critère peut paraître complexe, difficilement renseignable ou maximaliste. Il faut au contraire considérer qu’il autorise des approches variées, qu’il peut se satisfaire de « proxys » à défaut d’indicateurs consolidés (c’est là précisément le propre de l’innovation), qu’il ne monte pas la barre mais élargit et synthétise simultanément le registre d’action.
  • Contribuer aux capacités de résilience du territoire

Explicitation :

  • Un dispositif ou un service favorisant une plus grande sobriété ne seront pas satisfaisants s’ils ne sont pas résistants (aux aléas courants), s’ils ne sont pas robustes (ils conservent leurs qualités essentielles lorsqu’ils fonctionnent en mode dégradé) et s’ils ne sont pas résilients (autrement dit s’ils n’ont pas la capacité à recouvrer rapidement leurs qualités, voire à en développer de nouvelles, suite à un accident majeur, une crise ou un choc systémique).
    • Mais cette capacité de résilience ne doit pas valoir pour eux mais pour le territoire qu’ils servent ou dans lequel ils s’insèrent.
    • Pour donner un exemple, l’autonomie en électricité d’un territoire local en autoconsommation collective n’a pas de valeur en elle-même mais en acquiert dès lors qu’elle permet de faire face à une une rupture d’approvisionnement en énergie, que celle-ci la concerne elle ou concerne un territoire voisin ou englobant (on pourra trouver d’autres exemples plus probants).
  • Avoir un caractère inclusif et/ou redistributif

Explicitation :

  • Une innovation peut présenter un bénéfice environnemental avéré, elle peut trouver son modèle économique mais sur une planète aux inégalités grandissantes et où le risque d’exclusion s’accroît, elle ne peut prétendre à la soutenabilité si elle aggrave ces mécanismes.
    • Il ne s’agit pas d’exiger de tout projet innovant qu’il ait un « volet » social mais, a minima, d’inviter ses porteurs à considérer les possibles effets sociaux de sa mise en œuvre.
    • Mieux encore, par la maîtrise des coûts, par le service rendu et par les conditions d’accès et d’usage, le projet doit pouvoir bénéficier directement ou indirectement aux ménages et aux territoires les moins dotés.
  • Faire droit aux autres formes du vivant

Explicitation

  • La place de la nature en ville a longtemps été réduite à l’agrément paysager. De plus en plus, on la mobilise pour les services qu’elle rend (réduction des îlots de chaleur, agriculture urbaine, phyto-épuration…) contribuant ainsi à augmenter sa présence tout en disposant de services plus respectueux de l’environnement. Mais face à l’effondrement de la biodiversité, cette conception instrumentale du vivant doit s’inclure dans une conception élargie de la place de la nature où la question n’est plus seulement celle du service que peut rendre la nature à la ville mais celle du service que la ville peut rendre à la nature
    • Ainsi la question de la lutte contre l’artificialisation des sols, celle contre leur imperméabilisation, passent d’une acception quantitative à une conception qualitative et écologique : quelle contribution au maintien et développement de la biodiversité ?
    • Cette vision pourra paraître éloignée des enjeux de l’innovation et ressortir plutôt des opérations d’urbanisme et des opérations d’aménagement. C’est pourquoi ce critère est formulé ainsi : il s’agit de faire en sorte que le projet n’empiète pas sur des espaces de nature, qu’il en compense la perte, mais aussi et surtout qu’il en envisage l’accueil, qu’il lui fasse place en quelque sorte, et pour lui faire place, qu’il lui fasse droit.
  • Etre réversibles, réorientables et réappropriables

Explicitation

  • Réversibles, parce qu’une innovation à un instant peut perdre sa pertinence avec le temps dans un contexte différent et que nous ne pouvons pas nous permettre de créer de nouveau sentiers de dépendance dont le coût de sortie serait trop élevé pour la collectivité ou pour les générations futures.
    • Réorientables, parce que la réversibilité, le retour à l’état ex ante n’est ni la seule ni toujours la meilleure manière de mettre fin à un projet. Sa réorientation suppose toutefois une certaine plasticité (ses composants pour être réagencés doivent être modulaires et substituables), elle requiert une intelligibilité et une transparence minimale (les algorithmes utilisés, par exemple, doivent être documentables et documentés). Enfin, la réorientation repose sur un choix, suppose un arbitrage et la possibilité d’en débattre. L’exigence d’une possibilité de réorientation du produit de l’innovation invite ainsi à l’inscrire dans une forme démocratique d’introduction, de gestion et de gouvernance laquelle gagne à être envisagée dès sa phase initiale.
    • Réappropriable, parce que la réplication, la transposition, la diffusion et le changement d’échelle supposent que d’autres acteurs que les initiateurs de l’innovations puissent se l’approprier. C’est également une condition de son amélioration. Elle gagne à s’inscrire dans une logique partagée de l’innovation (open innovation, licences sous creative commons, etc.). C’est à cette aune en tout cas que peut s’évaluer son potentiel de dissémination.

Complément :

Cette grille ne dit rien de la problématique de l’opérationnalisation de l’innovation elle-même. A titre introductif, on proposera l’analyse suivante, sans doute trop rapide :

Nous avons aujourd’hui en France trois problèmes avec l’innovation dès lors qu’elle engage l’action publique nationale et locale : un problème de coût (à court terme, celui de l’exercice budgétaire, le mieux disant n’est pas le moins disant notamment en raison des coûts d’étude, d’ingénierie et d’évaluation, et le calcul des taux d’actualisation n’intègrent pas les externalités négatives évitées), un problème de risque (la chaîne de la prise de risque a la force de son maillon le plus faible, tantôt strictement assurantiel (matériaux, procédés, intégration), tantôt politique (acceptabilité), un problème de légalité et de légitimité : le choix d’un projet innovant doit respecter le Droit et notamment le Code de la commande publique. Ce dernier prévoit des exceptions qui doivent être fondées en légitimité, et des instruments (partenariat d’innovation, semop) dont l’emploi doit pouvoir être justifié. Or ces trois grands types de problèmes ne peuvent être résolus au moyen d’un simple recueil des besoins (demande des collectivités, attente des entreprises, aspiration des citoyens). Ils doivent pouvoir être énoncés par une instance tierce ou extérieure aux acteurs ou en capacité d’exploiter et leur retourner de façon retravaillée leurs propositions. Bref, ils requièrent à la fois une expertise indépendante (ou plurielle) et un espace de concertation, de débat et de délibération. La question est alors de trouver l’échelle la plus pertinente et l’organisation la plus agile afin de que cette disposition ne constitue pas un « sas » bureaucratique mais bien un accélérateur. Pour cela, peut-être faut-il pousser l’esprit d’open innovation jusqu’à considérer l’innovation comme un « commun », autrement dit comme d’un bien non exclusif mais « rival » (i.e. sujet à l’épuisement, la concurrence et à la congestion), dont le mode de gestion puisse faire que chaque itération successive produise, non  des « coûts de transaction » mais des « bénéfices de transactions » (auto-apprentissage collectif, mise en place de nouvelles régulations partagées, amélioration en continu…).

François Ménard, Juillet 2020


Sébastien Maire

Délégué Général
France Ville Durable

L’innovation urbaine n’est pas que technologique ou numérique

Pour répondre aux enjeux écologiques et sociaux auxquels sont et vont être confrontés nos sociétés, deux leviers d’innovation devraient être mobilisés en priorité :l’innovation en matière de gouvernance, des territoires comme des organisa-tions, car les traditions, visions et cultures de nos fonctionnements publics comme privés sont incompatibles avec l’approche systémique, holistique et transversale désormais indispensable pour répondre aux enjeux ;l’innovation sociale qui, portée par différents acteurs, apporte des solutions efficaces à des enjeux complexes auxquels ni les pouvoirs publics, ni le marché ne peuvent répondre seuls.
Il ne s’agit pas de rejeter l’innovation technologique, il s’agit juste de la re-mettre à sa place : la technologie n’est qu’un moyen, un outil, mobilisable ou pas pour que l’humanité parvienne à ses objectifs ; elle n’est pas un objectif obligatoire derrière lequel doit forcément courir toute l’humanité, indépen-damment de ses impacts et effets négatifs. Les solutions low-tech, celles ba-sées sur l’humain ou la nature sont souvent plus durables et résilientes que les solutions technologiques, elles sont beaucoup moins impactantes pour les ressources et l’environnement, et moins coûteuses pour les collectivités ou les habitants…


Sébastien Maire, Septembre 2020